Samedi dernier, j’ai décidé, après bien des hésitations, de rejoindre la manifestation en faveur des Kurdes de Syrie, victimes des tueries organisées par Recep Tayyip Erdogan. Mon hésitation tenait à ce que ce combat juste était récupéré par le NPA et d’autres forces dites « à gauche » qui s’allient ici avec le fascisme islamique pour mieux le dénoncer ailleurs, dans ces contrées éloignées où l’on n’a pas à goûter la réalité de l’islam politique réellement…
Place d’Erdoganie
Très en retard, en voiture, je mords quelque peu un passage de bus pour voir s’il y avait un intérêt à persévérer dans ma petite folie automobile. Hélas, un policier m’arrête et menace de me faire perdre des points. Puis il se ravise, s’apercevant de mon déguisement du jour : un foulard du Rojava ramené par ma fille qui a passé six mois au Kurdistan d’Irak. Et me précise : « bon, allez-y, les Kurdes ont bien droit à leur 1789 ! ». J’avais pu mesurer d’ailleurs cette belle attitude de certains policiers, l’été dernier. Certains protégeaient, lors de sa venue à Lyon, Waleed Al-Husseini, cet apostat de l’islam et écrivain, bien au-delà des consignes de la hiérarchie…
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Arrivant près du terme de cette manifestation, place des Terreaux, je ne vois que des bandes de gens très agités, hurlant, exhibant le drapeau turc. Un ami habitant à côté de cette place me téléphone pour me préciser que l’on voit effectivement des policiers courser des excités en face de la mairie. Mais je décide malgré tout d’aller à cette manifestation autorisée. Des militants anti-Kurdes, était-ce donc tout ce qu’il était advenu de la manifestation en faveur de la résistance aux violences et aux crimes de la Turquie en Syrie ? Apercevant, derrière un groupe de policiers, quelques militants pro-Rojava supposés, je me dirige vers ce qu’il restait de ce rassemblement pour la vie et la liberté.
Tout à coup, quatre à cinq furieux courent vers moi en hurlant devant les forces de l’ordre : « regardez ce qu’il porte à son coup ! ». Je fais alors quelques bonds, frappant à la porte d’une voiture de police, qui se refuse à m’ouvrir. Je frappe à nouveau en parlant plus fort, montrant mes agresseurs et disant distinctement : « ils veulent me battre, laissez-moi entrer ». Mais une escouade d’agents arrive et écarte les agresseurs qui continuent à vociférer en désignant le soleil du Rojava sur l’écharpe… Une policière me demande alors de cacher ce tissu. Je lui réponds qu’on n’est plus ainsi en République ; elle me rétorque que la manifestation est terminée. Toutefois, je lui désigne les drapeaux turcs, sans compter ces femmes aux foulards, ces porteuses du signe très ostensible de l’islam politique. Elle insiste : je m’exécute devant les uniformes de la République française humiliée et les emblèmes de la Turquie annexés par des bandes islamo-fascistes (qui dénaturent l’œuvre d’Atatürk).
La France tolère Erdogan
Je n’ai pas voulu ennuyer les policiers dont je connais le difficile travail ; oui, les pro-Erdogan étaient prêts à en découdre à tout prix, la haine luisait au fond de leurs yeux. J’ai repensé alors que les hauts lieux de l’État sont accommodants avec le fasciste qui usurpe le pouvoir à Ankara, fait détruire les livres de Spinoza et laisse son armée proférer, en Syrie même, « Allah Akbar », chose jamais entendue depuis la fin du Califat ottoman… Quant à l’université Lyon-2, elle dut, à son corps défendant, annuler une manifestation racialiste et islamiste qui se disait être un colloque savant ! L’élite intellectuelle et politique est en voie d’être subvertie par le renoncement et la lâcheté : que demander de plus aux policiers ?
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J’ai caché mon écharpe. Devant les policiers, la bande de fasciste exultait et faisait crépiter ses téléphones pour faire force photos de mon renoncement. Ils pouvaient être heureux, en effet : il n’y avait plus de République à Lyon ; le citoyen français que je suis n’était, pour un temps, plus chez lui, il n’habitait plus une cité libre mais un lambeau du califat d’Erdogan.
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